Quelques exemples :

style faire-part : il permet une duplication de l'instance émettrice en produisant un effet de distanciation (donc, officialité et valeur de vérité maximale) par l'auto caractérisation à la 3° personne et un effet de scission entre les rôles d'émetteur et de récepteur (opposition entre nous / vous, non-nous / non-vous). Bouleversement de l'ordre conventionnel : en plaçant d'abord les marques affectives et familières, la trop grande impersonnalité des messages (surtout s'il est envoyé à plusieurs personnes de manière non cachée) est d'entrée annulée par le sémantisme des verbes puis réindexés par les termes à connotation joyeuse, conférant ainsi au message un champs axiologique globalement positif. La seule marque de convivialité est séparé du corps notionnel, ce qui induit à penser que le message "brut" est exempt de sous-entendus à caractère émotif.

style carte postale : mi style télégraphique, car fondé sur des règles d'accord syntaxique fantaisistes. L'efficacité se fait ressentir par l'absence de connecteurs discursifs : chaque paragraphe correspond à une idée directrice et unique. L'absence de virgules indique une intention de montrer la rapidité de la communication. La parataxe ne dénote plus uniquement un niveau d'analyse syntaxique ( qui serait la codification écrite d'une communication verbale) mais directement en rapport avec un effort de transcription d'un phrasé oral. Ainsi, un style haletant supporte le balayage dans un espace-temps restreint des "brèves" de son interlocuteur.

style pressé (donc le plus courant) : généralement l'encadrement du texte prend plus de place que le message lui-même. Celui-ci se compose essentiellement de marqueurs énonciatifs, de phrases brèves parfois non terminées, laissant le soin au lecteur de compléter lui-même. Ceci a peut-être pour fonction de renforcer la cohésion de l'entente mutuelle en essayant de se rapprocher le plus possible de l'inachèvement caractéristique des discussions orales. Donc, plus les messages dont brefs plus le contenu informationnel est pauvre au détriment des productions réitérant à l'envie les liens sociaux qui unissent ou non les personnes. On remarque d'ailleurs que les P.S. sont souvent avant la signature et parfois avant le salut.

style message de répondeur : transcription d'une forme d'énonciation orale. On y trouve un grand nombre de déictiques temporels qui ont pour but de faire apparaître un déroulement chronologique dans la rédaction du message. Sorte de recréation par processus d'ubiquité de la corporéité du destinateur qui prend à parti son destinataire de façon identique à celle d'une conversation (changement de sujet, etc....) et lui confère ainsi une existence matérielle dans le script même. On peut voir là un procédé à la fois traditionnel dans la pratique épistolière et une attitude de subversion de la virtualité de l'échange électronique.

style post-it : soit le message se résume aux mots qui constituent à eux seuls l'entité des informations à délivrer (en général il s'agit de prédicats avec ou sans sujet )soit il se réduit à une ou quelques phrases brèves qui conservent malgré tout déterminants et formules de politesse. Mais dans tous les cas, plus le message est transcrit par une structure réduite, plus l'acte dénoté a une instance performative.

style militaire : plus besoin d'être bloqué(e) dans un compartiment de Corail en gare de Marseille un dimanche soir pour éprouver la rhétorique particulière de ce discours haut en figure !

style tchat : parfois la rapidité de l'échange ou les quelques erreurs d'aiguillage peuvent produire des messages qui rappellent à s'y méprendre les poèmes surréalistes.

style commercial : le message se caractérise par un registre convivial, familier à un certain degré mais la crédibilité veut que le registre de logique reste soutenu, reste encré sur des formules de références connus de tous qui permettent d'enregistrer instantanément à quel type de message on est confronté. On peut noter que la tendance actuelle du phrasé oral type consistant à scinder en deux parties siamoises le sujet (chose pratiquée dans la langue écrite quand les extensions du sujet séparent substantiellement le topique du prédicat) est conservée, toutefois dans une forme un peu moins agrammaticale. La ponctuation signifiante se réduit aux virgules qui se substituent ainsi efficacement aux marqueurs discursifs et la phrase parataxique produite sous-tend une volonté de faire reposer l'effet de connivence sur une structure uniquement déictique. Le choix du vocabulaire dénote aussi un niveau de langue plus relâché qui permet à certains "commercials" de faire sentir le degré de hiérarchie, en l'occurrence financière, de façon atténuée. Pragmatiquement, ceci n'est que la transposition écrite de l'attitude bien connue qu'ont les commerçants quand ils déclarent " A nous !" pour nous servir et "Ca nous fait 100 francs" pour encaisser. De plus, une lettre administrative se doit d'être sans messages affectifs forts et sans ponctuation orientée axiologiquement mais seulement utilisée à bon escient. Une marque de convivialité passera donc pour un usage plus souple, répondant habituellement aux critères de la communication privée. Cette déviance de catégorie ne semble aujourd'hui possible que par la messagerie électronique. En comparant par quelques exemples de connecteurs, on s'aperçoit rapidement du choix de telle ou telle compagnie : par vs au moyen de, malgré tout vs cependant, à vs de, etc... Normalement dans la séquence parlée, les connecteurs n'occupent pas la même place que ceux utilisés à l'écrit. Cependant on remarque que la jonction entre les deux rhétoriques tend à s'effectuer, car les connecteurs du discours oral sont placés de façon identique à ceux de l'écrit. On peut mettre en miroir deux formules de salutations de deux organismes différents pour illustrer cet état de fait. "Nous vous souhaitons, chère cliente, cher client, une très bonne continuation sur notre réseau" ou "Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées."

style personnel : malgré tous les évitements, les dépêchements, les déréalisations, les emprunts et cache-personnes, il est tout à fait possible pour un écrivant de laisser transpirer son style personnel, c'est-à-dire ses tics de langages, son vocabulaire particulier, ses préférences verbales et notionnelles. C'est véritablement ce qui va authentifier aux yeux du destinataire la réelle personnalité de son interlocuteur et fonder la substance de l'échange, sa raison d'être en quelque sorte. Mais ceci est déjà connu...

 

 

 

 

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